Disparus Muñoz : les proches exigent des experts indépendants
D’après la Loi des victimes, les proches des huit disparus de la famille Muñoz ont le droit de choisir les experts qui examineront les restes humains découverts. Pourtant, les autorités font pression sur eux pour que les services du procureur de la zone centre de Chihuahua, en charge de la plainte, conduisent ces analyses. Les proches savent que ces services n’ont ni l’indépendance, ni les compétences et équipements nécessaires. Le risque est grand de perdre des éléments de preuve médicolégaux essentiels.
Le 19 juin 2011, la famille Muñoz, réunie à Anáhuac (État de Chihuahua), a eu une altercation avec un individu qui tirait des coups de feu à proximité de leur résidence, puis avec des policiers municipaux qui refusaient d’intervenir. Quelques heures plus tard, un commando a embarqué le père de famille, quatre de ses fils, son gendre et deux neveux. Plusieurs signes laissent clairement penser qu’il s’agissait de policiers mais les autorités ont toujours nié l’arrestation, et les victimes n’ont jamais reparu.
Les autorités se sont montrées particulièrement lentes pour traiter la plainte déposée par les proches. Finalement, des restes humains susceptibles d’appartenir aux disparus ont été retrouvés en trois endroits. Il s’agit de restes difficiles à analyser car très dégradés et calcinés. Les proches des disparus veulent que l’Équipe argentine d’anthropologie légiste s’en charge parce que ses experts sont indépendants et expérimentés (ils travaillent sur l’affaire des 43 étudiants disparus à Iguala). Les autorités refusent et intimident les proches. Le 25 mars, Fernando Romo, père du disparu Luis Romo Muñoz, s’est vu menacer d’une interruption de l’enquête s’il ne signait pas les documents donnant pouvoir aux services du procureur de la zone centre de Chihuahua pour l’examen des restes humains.
Contexte
Les ravages de la « guerre contre le crime »
À son arrivée au pouvoir en décembre 2006, le président Felipe Calderón a déclaré la guerre à la délinquance organisée. D’une manière générale, les forces de l’ordre et l’appareil judiciaire ont procédé à des arrestations et condamnations massives en recourant à l’extorsion d’aveux et aux preuves illicites. Le bilan de la guerre de Calderón est estimé à au moins 60 000 morts, 26 000 victimes de disparition forcée, 250 000 déplacés internes et des milliers de personnes torturées au cours de leur garde à vue et de leur détention. L’arrivée au pouvoir du président Enrique Peña Nieto, en décembre 2012, n’a pas changé la donne.
Des milliers de « disparus »
On parle de disparition forcée lorsqu’une personne est arrêtée, détenue, enlevée par des agents de l’État ou par des individus privés avec le consentement tacite ou exprès des autorités, et que ces dernières refusent de reconnaître cette privation de liberté ou dissimulent le sort de la personne disparue et le lieu où elle se trouve. Soustraites à la protection de la loi et extraites de la société, les personnes disparues sont à la merci de leurs ravisseurs, souvent torturées, constamment menacées de mort. La famille des personnes disparues subit également une forme de torture psychologique. Elle est victime au même titre que les personnes disparues.
Le gouvernement mexicain refuse de reconnaître le recours aux disparitions forcées et se contente d’évoquer des personnes dont on a perdu la trace. Il incrimine les bandes criminelles sans mener d’enquête sérieuse pour établir qui sont réellement les auteurs de l’enlèvement, notamment si des agents de l’État sont impliqués, et sans rechercher efficacement les victimes.
27 638 disparitions (disparitions forcées ou enlèvements par des personnes privées) ont été reconnues officiellement depuis 2006. Un grand nombre d’entre elles ont eu lieu sous la présidence actuelle. Dans la seule agglomération de Cuauhtémoc, où est la famille Muñoz, au moins 374 personnes sont portées disparues.
Le sénat mexicain examine actuellement un projet de loi générale sur les disparitions forcées et enlèvements. Beaucoup de familles de disparus et membres de la société civile craignent que le texte ne soit pas conforme aux plus hauts standards internationaux en la matière.