Deux militants de « Tournons la page » détenus au secret
Messieurs Nadjo Kaïna - Coordinateur de « Tournons la page » (TLP) et porte-parole du mouvement citoyen « Iyina » - et Bertrand Solo Gandere - Chargé de mobilisation de TLP et rapporteur du mouvement « Iyina » - sont détenus au secret, respectivement depuis le 6 avril et le 15 avril 2017. Ils n'ont ni accès à leur famille, ni à leur avocate. Il n’existe aucune information sur les charges retenues à leur encontre.
Le 6 avril, vers les 18h00, alors que Nadjo Kaïna, 27 ans, rentrait à son domicile suite à une réunion du mouvement « Iyina », il a été arrêté à Ndjamena par des membres de l’Agence nationale de sécurité (ANS). Trois jours auparavant, il avait appelé à une journée de désobéissance civile, prévue le 10 avril, et encouragé la population à s’habiller en rouge pour exprimer leur ras-le-bol quant à la mauvaise gouvernance dans le pays.
Neuf jours plus tard, Bertrand Solo Gandere, collègue de Nadjo Kaïna, était à son tour arrêté arbitrairement à Ndjamena.
Personne ne connaît le motif de leur arrestation, ni l’endroit où ils sont détenus. Selon le Ministre de la sécurité, ils sont détenus pour des « besoins d’enquêtes ». De son côté, le ministre de la justice et des droits de l’homme affirme ne pas avoir été mis au courant de ces enlèvements. Il a promis de se pencher sur ce dossier, mais estime que ces activistes ont pu être arrêtés pour avoir organisé un rassemblement illégal.
Au Tchad, les activistes, les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes et les journalistes sont régulièrement harcelés et emprisonnés pour des motifs fallacieux. Exprimer pacifiquement des critiques à l’endroit d’un gouvernement n’est pas une infraction en droit.
Nadjo Kaïna et Bertrand Solo Gandere sont des prisonniers d’opinion. Ils doivent être immédiatement libérés.
Contexte
Le Président Idriss Déby Itno est arrivé au pouvoir par les armes en 1990. Il a été réélu pour un cinquième mandat en avril 2016, à l’issu d’un scrutin non transparent où il a recueilli 60 % des voix. Pays producteur de pétrole et pays pivot dans la lutte contre le terrorisme sahélien, le Tchad est un allié précieux des Etats occidentaux, et plus particulièrement de la France.
Un régime qui étouffe toute critique du pouvoir et toute contestation sociale
Depuis le début de l’année 2017, le pays traverse une sévère crise économique et sociale, aggravée par l’effondrement des prix du pétrole. Face à un front social et des mouvements citoyens qui se développent et s’unissent, le régime d’Idriss Déby Itno a décidé d’user de la dérive autoritaire pour mettre un terme aux critiques et aux contestations sociales. En février 2017, 69 étudiants ont été condamnés à un mois de prison ferme pour « outrage à l’autorités de l’Etat » après avoir protesté contre la suppression de leurs bourses.
Une société civile qui malgré la peur se mobilise
Le 25 mars 2017, le mouvement citoyen « Iyina » - qui signifie « On est fatigués » en arabe - et les coalitions « Trop c’est trop » et « ça suffit », qui militent pour l’alternance démocratique au Tchad, ont lancé la campagne « Tournons la page » (TLP) à l’occasion d’un rassemblement à la Bourse du travail de Ndjamena. Présente dans sept pays africains, en Belgique ainsi qu’en France d’où elle est coordonnée par le Secours Catholique, la campagne TLP est un « mouvement citoyen transcontinental qui regroupe des membres de la société civile d’Afrique et d’Europe dans le but de promouvoir la démocratie sur le continent africain ».
Le lundi 10 avril 2017, vers les 9h00, une dizaine de jeunes militants d’Iyina ont été arrêtés à la Bourse du travail de Ndjamena pour « troubles à l’ordre public ». Ils s’apprêtaient, avec pancartes et habits de couleur rouge, à manifester contre la mauvaise gestion du pays et la réélection contestée il y a un an du président Idriss Déby Itno. Selon les autorités, cette manifestation était illégale. Ils ont été détenus deux jours au commissariat central de Ndjamena.
Cet acharnement du pouvoir contre les organisations indépendantes a conduit plusieurs acteurs de la société à vivre dans la clandestinité.