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Ces armes symboles d’une dérive policière

Les armes dites « intermédiaires » sont utilisées par la police et la gendarmerie. En plus de leur très lourd bilan humain, elles symbolisent une dérive dans la manière de maintenir l’ordre.
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Crédits : ACAT
Le 28 / 02 / 2017

Flashball, LBD 40, grenades de désencerclement, grenades lacrymogènes instantanées et bientôt Penn Arm PGL-65…. Autant de noms d’armes que l’on imaginerait facilement dans des jeux vidéo. Elles n’ont pourtant rien de virtuel.

Laurent Théron a 46 ans. Il est secrétaire médical pour les hôpitaux de Paris. Le 15 septembre 2016, il défile dans les rues contre le projet de réforme du code du travail. Ce jour-là, il perd une partie de lui. Laurent Théron a été éborgné, après avoir reçu un projectile de grenade de désencerclement dans l’œil.

Son nom vient s’ajouter à la longue liste des personnes mutilées par des armes policières dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre. L’ACAT recense, depuis 2004, près de 50 blessés graves et 2 décès  à la suite de l’usage de grenades, Flashball ou lanceurs de balle de défense LBD 40. La plupart ont, comme Laurent Théron, été touchés au visage : 24 personnes ont été énuclées (c’est-à-dire qu’elles ont perdu un œil) ou ont perdu la vue.

Des armes qui désinhibent

Si les policiers et gendarmes sont généralement réticents à sortir leur pistolet de service, ils le sont beaucoup moins concernant les armes intermédiaires. « Intermédiaires »,  car elles se situent entre la force à main nue et le recours ultime aux armes à feu. Elles sont supposées offrir aux policiers un large éventail de moyens leur permettant de graduer leur recours à la force, afin de toujours adopter une réponse strictement proportionnée à la situation. Une nécessité donc.

Les recherches de l’ACAT tendent pourtant à montrer qu’elles ne sont pas toujours utilisées dans ce cadre. Considérant ces armes comme non létales, les membres des forces de l’ordre y ont très facilement recours. Franck Liénard, avocat spécialisé dans la défense  des policiers et gendarmes, le résume ainsi : « Lorsqu’ils disposent d’armes intermédiaires, ils ne sentent pas la même inhibition et montrent une tendance très nette à y recourir, y compris lorsque la situation ne le justifie pas, ou lorsque le matériel n’est pas adapté. Le Flash Ball est caractéristique de ce phénomène : on ne compte plus les usages de cette arme en dehors de tout cadre légal, pour « faire du bruit », « faire courir les jeunes » ou « se faire plaisir »… »

Résultat : ces armes sont donc utilisées dans des situations où elles n’auraient jamais dû l’être. Avec les conséquences que l’on connait. L’enquête de l’ACAT a permis de constater que dans plusieurs cas, les agents de police n’étaient pas en  danger, la menace ayant été formellement démentie par l’enquête. Ou bien que lorsque la situation pouvait justifier le recours à la force, l’usage d’un Flashball, d’un LBD 40 ou d’une grenade s’avérait néanmoins totalement disproportionné.

 Un geste devenu banal

L’emploi de ces armes a surtout levé un interdit : le geste de mettre en joue, de viser et de tirer sur les citoyens est désormais devenu quotidien. Il est pourtant loin d’être anodin et constitue une rupture avec la doctrine historique du maintien de l’ordre à la française, qui privilégiait la mise à distance des manifestants. Un gradé au sein des CRS, Christian Arnould, critiquait ainsi dès 1997 le recours aux lanceurs de balles de défense. « Symboliquement, en matière de maintien de l’ordre, cela signifie que l’on tire sur quelqu’un, alors que, depuis des années, on prend soin de tirer les grenades à 45 degrés, sans viser les personnes en face. » En 2012 on recensait  sept utilisations par jour de Flashball et de LBD 40.

Un pas est franchi dans ce que nous sommes prêts à accepter au nom de la sécurité. Seront-ce bientôt des armes à feu qui seront pointées? Le 26 mai 2016, lors d’une manifestation à Paris, un policier en civil, pris à parti par des manifestants, sort son pistolet de service et le braque dans leur direction pour les intimider. Une scène digne d’un film américain. Faut-il y voir un lien ? Pas sûr. Quoi qu’il en soit, ce geste grave et le nombre conséquent de personnes mutilées devraient nous alarmer.

Repenser le maintien de l’ordre

Au final, ces armes semblent être utilisées bien plus pour l’impact psychologique qu’elles génèrent sur une foule, que pour protéger les forces de l’ordre. Elles placent les manifestants dans une terreur dont les ressorts se rapprochent de ceux de la guerre : leur aspect (le LBD 40 ressemble à un fusil), le bruit qu’elles génèrent (explosions), les fumées (lacrymogènes), l’incertitude de savoir où et quand ça va tomber, qui va être touché. Sans oublier le nombre de personnes mutilées. L’impact psychologique est donc bien réel.

Au-delà des conséquences immédiates, mesure-t-on les effets à  long terme sur les relations entre la police et la population ?

L’Enquête Sociale Européenne menée en 2010 révèle que les relations entre la police et le public sont plus tendues en France que dans les pays voisins. Les Français ont moins confiance en leur police que les populations d’autres pays européens comparables.

La liste toujours plus longue des personnes énucléées par des armes du maintien de l’ordre  continue de sabrer la confiance d’une partie non négligeable de la population envers leurs forces de sécurité. L’usage de ces armes peut par ailleurs générer une escalade de la violence sur les moyens et long terme, et s’avérer ainsi complétement contre-productif.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de questionner la doctrine du maintien de l’ordre et les politiques de sécurité qui, depuis quelques années, se traduisent par la mise en service de telles armes. L'ACAT appelle de ses vœux une réflexion concertée à l'échelle nationale concernant le maintien de l’ordre, et plus globalement sur la manière de faire police. Tel est le message qu’elle portera auprès des candidats aux élections présidentielle et législatives.

Aline Daillère, responsable police-justice / @Aline_Daillère

Article issu du Courrier de l'ACAT numéro 343

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