L’ONU condamne la torture de Taoufik Elaïba
Le Comité contre la torture des Nations unies vient de condamner la Tunisie pour les tortures infligées à Taoufik Elaïba lors de sa garde à vue, pour l’absence d’enquête sur les allégations de torture et de réparation de la victime ainsi que pour la prise en compte d’aveux forcés sur le fondement desquels la victime est toujours détenue.
Tuniso-canadien père de quatre enfants, Taoufik Elaïba a été arrêté le 1er septembre 2009, par la garde nationale de l’Aouina (banlieue de Tunis). Il a été torturé dans les locaux de la garde nationale pendant les six premiers jours de sa garde à vue, jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Ses interrogateurs l’ont notamment passé à tabac à plusieurs reprises. Il a été électrocuté, aspergé d’eau chaude et froide, soumis au supplice de la falaqa, etc.
Onze jours après son arrestation, Taoufik Elaiba a été présenté devant un juge d’instruction auprès duquel il a dénoncé les tortures subies. Ce dernier n’a pas pris acte de ses allégations. Le 31 octobre 2011, il a été condamné à 22 ans d’emprisonnement pour trafic de voitures sur la base d’aveux obtenus sous la torture, peine réduite à sept ans en appel.
Après plusieurs plaintes pour torture déposées par ses avocats, une enquête a finalement été ouverte plus de 32 mois après ces sévices, pour être de facto abandonnée deux mois plus tard.
Dans sa décision rendue le 18 mai 2016, le Comité contre la torture demande à la Tunisie d’enquêter sur les allégations de torture, de poursuivre et sanctionner les auteurs, d’accorder réparation à Taoufik Elaïba et de rejeter les aveux signés par ce dernier sous la torture.
La Tunisie a été examinée par le Comité en avril dernier, pour la première fois depuis la révolution. Tout au long de la session, la délégation tunisienne a assuré au Comité sa volonté d’éradiquer le phénomène tortionnaire et de rendre justice aux victimes. La décision rendue par le Comité dans l’affaire Taoufik Elaïba constitue un premier test qui permettra d’évaluer concrètement la sincérité des engagements du gouvernement tunisien.
Contexte
La torture, un fléau persistant
Le cauchemar subi par Taoufik Elaïba est emblématique du phénomène tortionnaire tunisien qui perdure aujourd’hui encore. La torture est fréquemment employée à l’encontre de victimes aux profils divers : personnes soupçonnées d’avoir un lien avec des activités terroristes, personnes soupçonnées d’infractions de droit commun, mais aussi rappeurs, blogueurs et jeunes activistes considérés comme tenant des discours hostiles au gouvernement. Ces dernières années, plusieurs suspects de droit commun sont morts dans des postes de police dans des circonstances suspectes.
L’impunité, encore et toujours
Le processus vers la sanction et la réparation du crime de torture est parsemé d’obstacles souvent insurmontables. Certains tiennent à un manque de diligence des magistrats, d’autres à leur iniquité. Certains résultent d’un encombrement de la justice, d’autres des nombreuses entraves posées par les agents des forces de sécurité qui refusent de collaborer aux enquêtes et parfois menacent les victimes et les témoins. Il résulte de tout cela qu’à ce jour, aucune plainte n’a donné lieu à un procès satisfaisant fondé sur une enquête diligente. Quelques rares instructions prometteuses sont toujours en cours, mais pèchent par leur longue durée. Dans la très grande majorité des cas, si la victime a la chance d’obtenir l’ouverture d’une enquête, cette dernière ne se matérialise qu’à travers un ou deux actes suivis d’un abandon de facto.