Libérable selon la justice, il demeure détenu au secret
Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir, blogueur mauritanien, est détenu au secret dans un lieu non officiel à Nouakchott alors qu’il devrait être libre depuis le 9 novembre 2017 selon la justice. Ces dernières semaines sa santé s’est fortement détériorée obligeant les autorités mauritaniennes à l’hospitaliser.
En décembre 2013, la justice mauritanienne engage des poursuites pour « apostasie » contre Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir en vertu de l'article 306. Son crime ? Avoir posté sur son blog un article intitulé « La religion, la religiosité et les forgerons » dans lequel il critiquait le système des castes et l’utilisation de la religion pour justifier l’esclavage et les pratiques discriminatoires contre la caste des forgerons à laquelle il appartient.
Le 24 décembre 2014, la Cour criminelle de Nouadhibou considère l’article comme blasphématoire envers le prophète Mahomet, malgré les dénégations du blogueur qui affirme ne pas avoir voulu insulter le prophète. Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir est condamné à mort.
Le 9 novembre 2017, à la faveur d’un recours de la défense, la Cour d’appel de Nouadhibou commue sa condamnation en deux ans de prison, reconnaissant enfin son « repentir ». Bien qu’il ait complètement purgé sa peine, au lieu de le libérer, les autorités mauritaniennes le placent « en détention administrative » au secret dans un lieu non officiel sous des prétextes fallacieux de « recours devant la Cour suprême » et de « sécurité ». En droit, le recours n’est pas suspensif et maintenir une personne en détention illégale, de surcroit au secret et dans un lieu officieux, n’est pas gage de sécurité.
Depuis le 6 juin dernier, l’état de santé de Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir s’est fortement dégradé avec de vives douleurs à l’abdomen. Sa place n’est pas en prison.
Mobilisons-nous auprès des autorités mauritaniennes pour demander sa libération immédiate et sans conditions !
Contexte
Afin de calmer les extrémistes religieux qui avaient réussi à faire descendre dans les rues de Nouakchott et de Nouadhibou de nombreux jeunes radicalisés demandant l’exécution de Mkhaïtir, le Conseil des ministres valide le 16 novembre 2017 - une semaine après la décision de la Cour d’appel de Nouadhibou – un projet de loi visant à abroger et remplacer l’article 306 du Code pénal sur les infractions liées à l’apostasie. Le 27 avril 2018, l’Assemblée nationale adopte ce texte de loi. Dorénavant, la peine de mort devient obligatoire en cas de « propos blasphématoires » et d’ « actes sacrilèges » y compris lorsque l’auteur de tels actes se repent immédiatement. Auparavant, tout musulman coupable d’apostasie devait disposer de trois jours pour se repentir. En cas de refus, il était condamné à mort, mais s’il se repentait, il devait être réhabilité dans tous ses droits. Pour justifier ce durcissement, le ministre de la Défense rappelle que la charia constitue le fondement de la législation pénale mauritanienne et que l’islam est la religion de l’État. En se présentant comme le champion de l’orthodoxie islamique, le gouvernement mauritanien se livre à une surenchère rigoriste pour tenter de supplanter les islamistes sur leur propre terrain dans un contexte électoral où le régime a besoin du soutien des islamistes pour se maintenir au pouvoir. Il s’agit d’une concession politique faite aux islamistes alors que la Mauritanie n’a pas appliqué la peine de mort depuis 1987.