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Abécédaire du phénomène tortionnaire

Depuis la révolution de janvier 2011, des centaines de Tunisiens ont été victimes de torture. Si la torture continue, cela est principalement dû à l'impunité dont jouissent les tortionnaires.
Tunisie_publiweb
Crédits : ACAT / Augustin Le Gall
Le 13 / 01 / 2015

G comme garde à vue… et livraison à l’arbitraire

La durée et l’isolement dans lequel se retrouvent les Tunisiens placés en garde à vue sont une des principales causes de la persistance de la torture. Durant la garde à vue, qui dure souvent six jours – le maximum prévu par la loi – le détenu est livré à l’arbitraire de ses interrogateurs dans la mesure où il n’a pas droit à l’assistance d’un avocat, sauf si l’interrogatoire est mené dans le cadre d’une instruction déjà en cours et que son droit à un avocat est respecté.

En théorie, le gardé à vue a droit à un examen médical. Lorsqu’il a effectivement lieu – ce qui n’est pas toujours le cas – la visite se fait en présence des agents de police. Le prévenu ne peut généralement pas dénoncer auprès du médecin ce qu’il vient de subir par peur des mesures de rétorsion de retour dans les locaux de la police.

Le cas Seif Eddine Trabelsi

Seif Eddine Trabelsi a bénéficié d’une expertise médicale au cours de sa garde à vue au sein de la police judiciaire antiterroriste de Gorjani. Il a dit au médecin qu’il avait été torturé, ce qui lui a valu d’être torturé à nouveau par les mêmes agents.

H comme harcèlement des victimes

Une victime qui porte plainte encourt un sérieux risque de subir des mesures d’intimidation, voire d’être de nouveau soumise par des policiers à des mauvais traitements et des tortures pour la punir de s’en prendre à des « collègues ». Les victimes emprisonnées qui portent plainte contre des tortures infligées en prison risquent elles aussi d’être punies par leurs gardiens.

Le cas Sidqî Halimi

Arrêté le 4 mars 2011 pour une infraction de droit commun mais en raison, selon lui, de son implication dans le mouvement révolutionnaire à Kasserine, il a été torturé pendant sept jours par des policiers et des militaires.

Après sa libération à l’issue de sa garde à vue, il a porté plainte pour torture. Cela lui a valu d’être de nouveau arrêté le 29 mars 2011 et incarcéré pendant un mois et 21 jours, avant d’être libéré par manque de preuve. La plainte pour torture n’ayant eu aucune suite, il en a déposé une seconde en 2013. Son obstination à dénoncer ce qu’il a subi lui vaut d’être harcelé par les policiers de Kasserine qui ne cessent d’inventer de nouvelles accusations à son encontre avec l’assentiment de la justice, sans qu’elle ne le condamne faute de preuve. Ainsi, deux mois après cette nouvelle plainte, il a été arrêté pour son implication présumée dans un incendie, sans preuve, et a été roué de coups au point de devoir être conduit à l’hôpital

I comme impunité

Une seule condamnation pour crime de torture - perpétré en 2004 - a été prononcée depuis la révolution.

Le processus vers la sanction des crimes de torture est parsemé d’obstacles. Les plaintes enregistrées sont rarement instruites et, lorsqu’elles le sont, l’instruction est souvent entachée d’irrégularités. Le magistrat se contente souvent d’entendre la victime et éventuellement de la confronter avec quelques accusés avant de décider de clore l’enquête pour manque de preuve ou de l’abandonner de facto.

Dans certains cas, la hiérarchie policière refuse de livrer le nom des agents qui étaient présents au poste le jour de la torture. Quand les policiers auteurs de la torture sont identifiés, ils refusent parfois tout simplement de se rendre aux convocations du juge.

Dans les rares affaires où l’instruction a été menée à son terme, le juge a minimisé les faits en les qualifiant de délit de violence et non de crime de torture.

Le cas Sami Belhadef

Sami Belhadef a été arrêté le 3 mars 2004 par des agents de la police judiciaire qui le soupçonnaient d’être impliqué dans une série de cambriolages. Au poste de police, le suspect a été frappé avec un tuyau sur la plante des pieds. Il a dû être opéré du pied gauche en raison des séquelles. Les accusés ont été condamnés à seulement deux ans d’emprisonnement en première instance, peine réduite à deux ans avec sursis en appel.

J comme justice transitionnelle

En décembre 2013, l’Assemblée nationale constituante a adopté la loi sur la justice transitionnelle, qui a pour objectif de rendre la justice en ce qui concerne les violations passées des droits de l’homme. Cette loi institue l’Instance vérité et dignité (IVD), chargée notamment d’enquêter sur la fraude électorale, la corruption et les graves atteintes aux droits de l’homme perpétrées par ou avec la complicité d’agents de l’État entre 1955 et décembre 2013. Après enquête, elle transfèrera les dossiers à des chambres spécialisées.

L’IVD a été mise en place en mai 2014 et les chambres spécialisées ont été créées quatre mois plus tard mais n’ont pas commencé à travailler. La loi n’accorde à l’IVD que cinq ans à compter de sa création pour faire la vérité sur les violations commises pendant près de 60 ans, réhabiliter les victimes, collecter et protéger les archives et suggérer des réformes en vue de prévenir la répétition de la répression. Un mandat titanesque qui fait craindre une justice expéditive et transactionnelle insatisfaisante pour les victimes.

M comme magistrats

Depuis la révolution, de plus en plus de juges d’instruction acceptent d’inscrire les allégations de torture des gardés à vue dans leurs procès-verbaux. Toutefois, dans la plupart des cas, il faut que l’avocat du prévenu insiste, voire menace le juge de le dénoncer publiquement ou auprès de sa hiérarchie.

Les juges d’instruction ne transmettent jamais les allégations de torture au procureur comme l’exige pourtant le code de procédure pénal. Bien souvent, le magistrat instructeur refuse d’ordonner une expertise médicale, même lorsque les allégations de torture peuvent avoir une incidence sur la validité des procès-verbaux qui lui ont été transmis par la police judiciaire, ce qui est le plus souvent le cas.

Le cas Ayman Saadi

Arrêté le 30 octobre 2013, alors qu’il était mineur, le juge d’instruction auquel il a été présenté après sa garde à vue n’a pas ordonné d’expertise médicale, malgré les traces apparentes de coups à l’œil et en haut du dos et la demande faite par l’avocat du jeune homme.

Q comme qualification de la torture au rabais

Cela fait plus de quinze ans que la Tunisie a inscrit le crime de torture dans son code pénal. Cependant, après la révolution, en octobre 2011, l’article a été modifié, conduisant à une définition de la torture au rabais, plus éloignée que la précédente de la définition internationale donnée par la Convention contre la torture, signée en 1988 par le pays.

Conséquence importante de ce changement législatif : les sévices infligés dans le but de punir ne sont plus considérés comme de la torture. Par conséquent, ne pourront pas être poursuivis pour crime de torture mais seulement pour délit de violence – cinq ans de prison maximum – les sévices perpétrés par des gardiens en prison, ou par des policiers à la suite, par exemple, d’une dispute avec un citoyen, dès lors que l’objectif n’est pas d’obtenir des aveux ou des informations. Cette définition restrictive de la torture a déjà été retenue pour juger des tortionnaires qui ont pourtant sévi avant l’entrée en vigueur de l’article révisé sur la torture.

Le cas Ali Qalii

Ali Qalii purgeait une peine d’emprisonnement quand la révolution a débuté. Après le départ de Ben Ali le 14 janvier 2011, la direction de la prison a ouvert les portes et ordonné aux prisonniers de partir. Ali Qalii a été interpellé par des militaires et ramené au centre de détention où il a été passé à tabac par des gardiens. Il a perdu deux dents sous les coups et une troisième a été cassée. Puis les agents l’ont mis au cachot pendant deux semaines. Après son amnistie quelques semaines plus tard, il a porté plainte pour torture. Le cadre de la prison qui l’a agressé a été condamné à un an d’emprisonnement, non pas pour crime de torture comme le demandait son avocat, mais pour délit de violence car les sévices n’avaient pas pour objectif d’obtenir des aveux ou des informations, mais de punir la victime.

T comme torture

La torture est moins systématique qu’avant la révolution mais continue d’être exercée fréquemment à l’encontre de victimes aux profils divers. Comme à l’époque de Ben Ali, les jeunes musulmans pratiquants présentant un profil salafiste et suspectés de ce fait d’appartenir à des groupes terroristes constituent les principales victimes. Depuis la reprise de la lutte antiterroriste début 2012, des dizaines voire des centaines de Tunisiens ont déjà été torturés pendant leur garde à vue. Des mineurs sont au nombre de ces victimes que leur jeune âge ne protège pas des sévices.

Le cas Wassim Ferchichi

Ce mineur de 15 ans vivant à Tunis a été arrêté le 2 janvier 2013 à Kasserine où il se rendait pour rejoindre un groupe djihadiste caché dans le mont Chaambi. Il a été emmené au poste de la garde nationale de Kasserine où il dit avoir été torturé pendant deux jours jusqu’à ce qu’il signe des aveux dans lesquels il reconnaissait son implication dans un mouvement terroriste.

Les personnes suspectées d’avoir commis un crime de droit commun sont toujours fréquemment victimes de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture si le suspect refuse d’avouer l’infraction qui lui est reprochée. Il arrive aussi que des citoyens soient torturés parce qu’ils ont eu un désaccord avec un agent de la force publique ou un de ses proches.

Les forces de sécurité recourent aussi parfois à une violence extrême dans la rue ou au poste de police dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre à l’encontre de personnes soupçonnées d’avoir participé à des manifestations.

Enfin, ces deux dernières années, des rappeurs, des blogueurs et des jeunes activistes considérés comme tenant des discours hostiles au ministère de l’Intérieur ont été soumis à des mauvais traitements par des agents de sécurité.

Le rapport de l'ACAT "Tunisie : justice, année zéro", est disponible en suivant ce lien.

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