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Plaidoyer pour les enfants de Cisjordanie

A l'occasion de la journée de solidarité avec les prisonniers palestiniens, plusieurs ONG rappellent dans les colonnes de Mediapart le sort des 600 à 700 mineurs arrêtés chaque année en Cisjordanie par l'armée israélienne.
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Texte reproduit de la tribune publiée par Mediapart le 17 avril 2014.

Une arrestation tout à fait ordinaire en Palestine occupée

Hendi S., jeune Palestinien de 17 ans résidant en Cisjordanie, a été arrêté à son domicile dans la nuit du 19 septembre 2013 par des soldats israéliens, qui le soupçonnaient d’avoir jeté des pierres. Ils lui ont bandé les yeux et l’ont menotté avec un lien en plastique très serré, lui entaillant la chair. Puis ils l’ont fait sortir de la maison et lui ont frappé la tête contre un mur, avant de l’embarquer dans leur véhicule. Arrivé au poste de police de la colonie d’Ariel, il a de nouveau été frappé et brûlé avec une cigarette, puis soumis à un interrogatoire pour qu’il avoue. Après une nuit passée au poste sans boire, sans manger et sans accès aux toilettes, il a été transféré à la prison de Megiddo, puis libéré deux semaines plus tard.

Son témoignage a été recueilli peu après par l’association Defence for Children International-Palestine (DCI-Palestine) qui a porté plainte auprès de la justice militaire israélienne en décembre 2013. Fait assez rare pour être mentionné, le procureur militaire a accepté d’ouvrir une enquête. Le jeune garçon a été convoqué pour audition mais comme le procureur avait interdit la présence à ses côtés d’un avocat ou d’un parent, il n’a pas osé se rendre à la convocation. 

Ce récit est choquant à bien des égards : le jeune âge du prévenu, la brutalité de l’arrestation, la violence de l’interrogatoire, l’injustice. Mais ce qui choque par-dessus tout, c’est la banalité de l’histoire, comme l’a encore rappelé le 14 juin 2013 le Comité sur les droits de l'enfant de l'ONU (voir le rapport en pdf). Chaque année, entre 600 et 700 mineurs âgés de moins de 17 ans sont ainsi arrêtés en Cisjordanie, selon les mêmes méthodes. Bien que la loi applicable en Cisjordanie prohibe l’arrestation et la poursuite judiciaire d’enfants de moins de 12 ans, 1% des mineurs interpellés rentrent dans cette catégorie, et l’on a même vu des arrestations d’enfants de 5 ans (en vidéo, B’tselem, 2013).

Des enfants traités comme des adultes

Ces pratiques des forces de sécurité israéliennes, jugées "cruelles, inhumaines et dégradantes" dans un rapport sans appel de l’Unicef publié en mars 2013, semblent "généralisées, systématiques et institutionnalisées". Le parcours vécu par les mineurs arrêtés est souvent le même. Après l’arrestation, généralement en pleine nuit et de façon violente, le jeune Palestinien, les yeux bandés et les poignets serrés jusqu’au sang, est conduit, seul, dans un centre d’interrogatoire, sans que ni lui ni ses parents ne soient informés du motif de l’arrestation ni du lieu de détention. Durant le trajet, qui peut durer plusieurs heures, voire toute une journée, il est maintenu à genoux ou allongé sur le plancher du véhicule militaire et insulté, humilié, voire battu.

La pression monte encore d’un cran pendant l’interrogatoire. 21%  des mineurs arrêtés et suivis par DCI-Palestine en 2013 sont maintenus en isolement pendant une durée moyenne de onze jours, dans une petite cellule sans fenêtre, éclairée en permanence, avec les séquelles physiques et psychologiques parfois graves que cela peut entraîner.

L’interrogatoire, mené par des policiers ou des militaires, toujours en l’absence d’un avocat, peut durer de quelques heures à plusieurs semaines. Dans la majorité des cas, le mineur reste menotté et parfois attaché à une chaise pendant des heures, dans des positions occasionnant de vives douleurs aux poignets, aux mains, au dos et aux jambes.

Près de 75% des enfants suivis par DCI-Palestine en 2013 ont été victimes de violences physiques entre le moment de l’arrestation et la fin de l’interrogatoire. À cela s’ajoutent les menaces de coups, d’agression sexuelle, de torture ou encore de mort, ainsi que les insultes et les hurlements.

Violations des droits fondamentaux des enfants palestiniens

Le but de ces pratiques qui foulent au pied les droits de l’homme et contreviennent à la Convention des droits de l'enfant qu'Israël a signée est notamment d’extorquer des aveux rédigés en hébreu qui constitueront l’un des principaux, si ce n’est le seul, fondement de la condamnation qui peut aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. 90% des accusés écopent d’une peine d’emprisonnement ferme, essentiellement pour jets de pierres ou de cocktails Molotov. Au 28 février 2014, 230 mineurs étaient détenus dans des prisons israéliennes dont 36 âgés de moins de 16 ans. Elles ont aussi pour objet, dans plus d’un cas sur dix, de tenter de recruter ces enfants comme indicateurs des services secrets pour qu’ils dénoncent les adultes de leur entourage.

Contrairement aux Israéliens, et aux Palestiniens de Jérusalem-Est qui relèvent du droit pénal israélien civil, ceux de Cisjordanie – y compris les mineurs – sont régis par la loi militaire israélienne qui ne garantit pas leurs droits fondamentaux. Ainsi par exemple, ils peuvent se voir refuser le droit de consulter un avocat pendant 90 jours, au lieu des 48 heures exceptionnellement prolongeables à 21 jours prévus par le droit pénal israélien. Tandis que près de la moitié des enfants israéliens et de Jérusalem-Est arrêtés bénéficient d’une libération sous caution, à peine plus de 23% des enfants palestiniens de Cisjordanie dont DCI Palestine a suivi le dossier y ont droit. Ce refus est d’autant plus problématique que le temps de procédure devant les tribunaux militaires peut aller jusqu’à un an avec possibilité de renouvellement d'un an par la cour militaire d'appel, pour seulement 6 mois devant la justice israélienne de droit commun.

Ce système inique est aussi propice au « plaider coupable ». Tous les mineurs palestiniens condamnés le sont à l’issue d’un procès devant le tribunal militaire pour mineurs. Dans la majorité des cas, la condamnation résulte d’un accord négocié avec le procureur militaire au terme duquel l’accusé plaide coupable – bien qu’il continue généralement à revendiquer son innocence – en échange d’une peine « allégée ». Dans très peu de cas la condamnation résulte d'une séance complète du tribunal.

A ceci plusieurs raisons. Rares sont les accusés relaxés par les tribunaux militaires. La plupart ont signé des aveux sous la contrainte, qui seront de toute façon utilisés par le tribunal militaire pour les condamner. Par ailleurs, la procédure devant le tribunal militaire, pendant laquelle ils resteront en détention, peut durer plus de temps que la période d’emprisonnement qu’ils pourraient négocier avec le procureur en acceptant de plaider coupable.

Enfin, si une petite partie des mineurs ainsi condamnés purgent leur peine en Cisjordanie à la prison d’Ofer, la plupart, comme Hendi, est transférée à la prison de Megiddo, en Israël, en violation de l’article 76 de la quatrième convention de Genève prévoyant que les ressortissants des territoires occupés doivent purger leur peine dans leur territoire. Les parents de ces mineurs ont les plus grandes difficultés à obtenir un permis d’entrée en Israël, et ils peinent à profiter des 45 minutes de visite bimensuelle, ou parfois n’y parviennent tout simplement pas. Les enfants se retrouvent alors privés de tout contact avec leur famille et avec l’extérieur, Là aussi en violations de tous leurs droits.

Plaidoyer pour le respect des droits civiques

Les récits des enfants de Cisjordanie aux prises avec l’armée et la justice militaire israéliennes, recueillis et vérifiés par les agences de l’ONU et les ONG de défense des droits humains, sont ainsi jalonnés de violences, d’irrégularités, de multiples atteintes à leurs droits les plus fondamentaux.

Cette situation dramatique découle de l’administration de la Cisjordanie par l’armée israélienne qui y assume tous les rôles, y compris celui de la justice, qui n’a de justice que le nom.

Malgré l’illégalité d’une telle réalité en droit international, le système perdure, conforté par une impunité institutionnalisée et un silence complice des partenaires occidentaux, en dépit des condamnations répétées du Comité contre la torture et du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, pour ne citer qu’eux.

Mais en attendant, et, sans perdre de vue la lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une campagne pour le respect des droits civiques des Palestiniens sous autorité israélienne et pour leur alignement sur les droits des Israéliens apparaît aujourd’hui comme une priorité.

 

Sahar Francis, directrice d’Addameer Prisoner Support and Human Rights Association
Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France 
Shawan Jabarin, directeur d’Al-Haq
Claude Léostic, présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine 
Ishai Menuchin, directeur du Public Committee Against Torture in Israel 
François Picart, président de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture
Randa Siniora, Présidente de Defence for Children International-Palestine Section 
Taoufiq Tahani, président de l’Association France Palestine Solidarité
Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme France 

Vous pouvez soutenir le prochain documentaire de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine sur KissKissBankBank, « Palestine : la case prison » qui traitera de la question de prisonniers palestiniens : http://www.kisskissbankbank.com/la-case-prison?ref=search