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Actualité

Rapport moral : entrons en résistance

Quels défis pour notre association ? Voici le rapport moral de l’ACAT, communiqué lors de l’assemblée générale. Le président y appelle les Acatiens à « entrer en résistance » face à certaines évolutions inquiétantes de nos sociétés.
Gabriel-Nissim-2-web

Chers Amis,

Autant et plus qu’il y a quarante ans, lors de la fondation de l’ACAT, il nous faut être là, face au Mal qui sans cesse reprend le dessus – et c’est toujours aussi intolérable. Intolérable pour nous : ce sont des femmes et des hommes, nos sœurs et nos frères. Intolérable pour Dieu, que de voir ses enfants souffrir et mourir de cette façon. Nos actions doivent se situer dans cette perspective-là. Face à tout ce qui se passe d’intolérable, aujourd’hui même, comment agir ? Comment « être là » ?

Je vous propose de réfléchir autour de trois questions : pourquoi et comment agir en France ?

Comment faire grandir la cohésion et la vitalité de notre association, de façon à être davantage présents et agissants ?

Notre association est plus qu’une association : c’est une communauté de chrétiens. Comment agir en accord avec cette caractéristique chrétienne dans les responsabilités qui sont les nôtres ?

Notre action en France et en Europe

En 2015, nous avons mené plusieurs actions et campagnes tournées vers la France et l’Europe. Pour autant, nous n’avons en rien abandonné nos actions en direction d’autres pays et continents… Je tiens à souligner à cet égard le rôle décisif du parrainage que beaucoup d’entre nous assument auprès de nombreuses victimes : ce parrainage est essentiel pour leur permettre de résister et de garder la tête haute face à tous ceux qui veulent les réduire à néant. Il nous faut nous réjouir de voir ce parrainage se développer. Merci à ceux d’entre nous qui s’y consacrent !

Si plusieurs de nos actions de plaidoyer et nos pétitions ont cette année été adressées aux autorités françaises, c’était souvent au bénéfice de victimes d’autres pays : pour faire bouger les choses dans certains pays, il sera en effet bien souvent plus efficace d’agir auprès des autorités françaises et européennes que directement auprès des autorités des pays concernés, en raison des relations existantes et des aides que nos pays européens leur apportent – par exemple, en Afrique ou au Viêt Nam. Ces actions ont donc souvent été menées en commun avec les autres ACAT européennes.

Cependant, cette année, nous avons pris un tournant en développant plusieurs actions et campagnes tournées vers la France et l’Europe. Elles ont porté sur le droit d’asile et sur les violences policières.

Ces actions en France faisaient partie des orientations à dix ans que nous avions votées il y a deux ans, mais nous ne savions pas à l’époque à quel point la situation globale allait justifier ces orientations et nous donner raison d’avoir fait ce choix.

Cela vaut pour le droit d’asile – un « droit » reconnu, dont le respect effectif est directement dépendant des politiques migratoires européennes, face à des problèmes comme nous n’en avons jamais connu : sans parler de ce qui se passe en Syrie, ce sont aujourd’hui près de 800 000 migrants qui attendent en Libye de pouvoir venir vivre en Europe – « vivre » enfin. Je pense par exemple à ces Érythréens enlevés et torturés dans le Sinaï dont nous parlait Meron Estefanos, en novembre à Marseille quand François Walter lui a remis le prix de la Fondation ACAT (voir Courrier n337).

Mais ce respect du droit d’asile est aussi menacé par la situation globale créée en Europe par l’arrivée sur notre sol d’une violence aveugle (déjà déchaînée ailleurs depuis des années), celle des attentats terroristes. Or l’arrivée en France et en Europe de cette violence produit un climat dans lequel notre combat pour l’abolition de la torture, de la peine de mort et l’accueil des victimes va devenir de plus en plus problématique. Impossible d’isoler notre mandat d’une situation globale dans laquelle l’opinion publique et, par conséquent, nos gouvernants sont en train de dériver vers des attitudes de xénophobie et de repli sécuritaire. On n’en est pas encore à justifier officiellement la torture – ici –, mais c’est déjà le cas aux USA. On n’ose pas encore parler de revenir à la peine de mort, mais cela se profile derrière la « perpétuité réelle » dont notre Premier ministre se dit prêt à discuter. Et, déjà, tout immigré est considéré par beaucoup comme un terroriste potentiel. Beaucoup trop de nos concitoyens – qui ne sont ni stupides ni méchants – manifestent des réactions de crispation identitaire et de peur qui nous ramènent aux années noires du siècle dernier.

Peur et repli

Deux réactions, en particulier, dans l’opinion publique sont très inquiétantes. Quelqu’un me disait l’autre jour que sa priorité était la sécurité pour ses enfants : beaucoup de gens sont prêts à sacrifier bien des libertés fondamentales pour prix de cette sécurité – exactement ce que veulent les extrémistes fanatiques qui commettent les attentats : tout autant que les personnes, ce sont les libertés fondamentales, le respect de tout être humain, la justice qu’ils veulent détruire. La seconde réaction est encore plus inquiétante : d’abord défendre les « nôtres ». Si au lieu d’organiser une Nuit des veilleurs pour toutes les victimes, nous organisions une veillée de prière pour les chrétiens du Moyen-Orient, nous aurions dix fois plus de participants, avec sans doute un évêque en prime. Oui, il faut défendre les chrétiens du Moyen-Orient, tellement menacés, en Syrie ou au Pakistan. Mais nous ne défendons pas ces chrétiens parce qu’ils sont chrétiens comme nous. Nous les défendons parce que, comme tant d’autres, ils sont menacés, et nous défendons tous les autres tout autant, dès lors qu’ils sont menacés, eux aussi. N’oublions jamais les paroles du pasteur Niemöller : « Quand ils sont venus arrêter les communistes, je n’ai rien dit – moi, je ne suis pas communiste. Quand ils sont venus arrêter les syndicalistes, je n’ai rien dit – moi, je ne suis pas syndicaliste. Quand ils sont venus arrêter les juifs, je n’ai rien dit – moi, je ne suis pas juif. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » Aujourd’hui, dans ce double contexte de multiculturalité (une pluralité culturelle comme nous n’en avons jamais connu, et cela va continuer) et de violence aveugle, et cela va aussi continuer, nous, ACAT, sommes appelés non seulement à continuer d’agir, mais plus radicalement, à nous voir nous-mêmes comme un pôle de résistance. Il nous faut rien de moins qu’entrer en résistance spirituelle, et je n’utilise pas ce mot de résistance par hasard, comme ce n’est pas par hasard que j’ai cité le pasteur Niemöller. 

C’est dans cette perspective et dans cet esprit que nous devons poursuivre les deux actions principales déjà entreprises en France.

  1. En direction des demandeurs d’asile, mais aussi de l’ensemble des migrants.

Il ne s’agit pas pour nous de proposer telle ou telle solution politique, très difficile à trouver et à mettre en œuvre dans notre Europe. En est témoin l’accord scandaleux qui vient d’être passé entre l’UE et la Turquie. Il s’agit bien plutôt d’apporter notre contribution à un climat général d’accueil et de fraternité. Aller vers l’autre, différent, pour créer avec lui une relation « humaine ». Une relation où « nous voyons la différence, et reconnaissions la ressemblance », comme disait Paul Ricœur. La différence est ce qui nous saute aux yeux, mais nous sommes pourtant capables de « reconnaître » la ressemblance.

Comment ? Un groupe de travail y a œuvré tous ces derniers mois, et vous en avez déjà un beau premier résultat avec le manifeste « Accueillons-les ! », pour lequel nous remercions Yves Marie-Lanoë et tout le groupe pour le travail entrepris. Un dossier est aussi actuellement en préparation, vous l’aurez bientôt à votre disposition. C’est enfin ce que nous avons choisi comme thème pour cette assemblée générale. J’insiste : notre mandat quant au droit d’asile nécessite une résistance à la peur et à la xénophobie.

  1. En direction du respect des droits et des libertés fondamentales en France, y compris dans le contexte actuel de menaces.

Aussi graves que soient ces menaces, elles ne justifient en aucune façon les restrictions aux libertés ni la dérive sécuritaire de nos lois. Comme le remarquait Sylvie Bukhari-de Pontual à la récente rencontre des ACAT européennes, une étude de ces lois sur plusieurs années laisse apparaître une réelle dérive sécuritaire, qui ne fait que se renforcer d’année en année.

Notre campagne contre les violences policières, cette année, ne visait pas à stigmatiser l’ensemble des forces de l’ordre, qui accomplissent leur mission dans des conditions non seulement difficiles, mais de plus en plus dangereuses. Nous n’avons voulu ni dénoncer ni juger les personnes qui, dans ces situations, font du mieux qu’elles peuvent. Mais nous ne pouvons rester sans réagir devant trop d’actes de violence qui ont été commis ces dernières années, et surtout devant l’impunité qui les accompagne. L’état d’urgence ne doit en aucune façon entraîner une menace de traitements inhumains. En revanche, et nous l’avons franchement reconnu, la façon dont nous avons conçu la campagne proposée fin décembre / début janvier était tout à fait inappropriée dans la forme : le slogan ne convenait pas du tout, de même que certaines actions proposées. C’est pourquoi, dès la mi-janvier, alertés par vos lettres et vos messages, dont je tiens à vous remercier, nous avons immédiatement décidé de repenser et de reporter les actions militantes proposées. Je vous ai écrit à ce sujet.

Mais si vous avez lu la synthèse du rapport qui est à la base de cette campagne, synthèse publiée dans le dernier numéro du Courrier, vous avez sûrement pu apprécier la rigueur de l’enquête que nous avons menée autant que la qualité de l’analyse qui en a découlé. Je tiens à féliciter Aline Daillère pour son travail remarquable durant ces deux dernières années sur ce dossier, un travail unanimement salué dans les médias lors de la parution du rapport, le 15 mars. Il a rencontré un écho exceptionnel, jusqu’à la CNCDH[1]. Il va donc falloir nous demander comment penser une campagne à long terme pour que la tendance de fond vers une dérive sécuritaire qu’on peut constater en France et en Europe n’aboutisse pas, de fait, à des traitements inhumains ou dégradants qui relèvent pleinement de notre mandat.

Renforcer la cohésion et la vitalité

  1. Il nous faut renforcer la cohésion en particulier entre les instances centrales et l’ensemble des militants que nous sommes.

Ce n’est pas là un problème spécifique à l’ACAT : dès là qu’une ONG comme la nôtre a la chance d’avoir, d’une part, un secrétariat national avec des salariés non seulement actifs, mais compétents et eux-mêmes passionnés par leur travail, et, d’autre part, un large ensemble de militants dont la plupart ne peuvent évidemment pas avoir le même type de compétence (même si certains d’entre nous ont ces compétences), il y a un risque permanent d’incompréhensions et de tensions. Sans compter la différence de moyenne d’âge entre le secrétariat national et beaucoup des militants, plus âgés. Trois pistes devraient alors permettre d’améliorer la cohésion entre tous.

  • D’abord une meilleure information à votre disposition sur le fonctionnement des instances centrales de l’association : secrétariat national, comité directeur, bureau exécutif, commissions et groupes de travail divers. J’ai moi-même pu constater lors des rassemblements régionaux que beaucoup souhaitaient mieux connaître le fonctionnement du « national ». Nous veillerons donc à communiquer davantage avec vous par des messages plus fréquents tant du comité directeur que du bureau exécutif. Je suggère aussi que les EAR prévoient peut-être un peu plus de temps au cours des rassemblements régionaux pour présenter les instances nationales de l’ACAT.
  • En second lieu, il est nécessaire de développer des rencontres concrètes entre les instances nationales et les membres de l’ACAT. Cela fait partie de la mission de Pauline Cabirol, chargée de la vie associative, d’aller davantage à votre rencontre : n’hésitez pas à l’inviter, elle sera heureuse d’aller vous voir (dans la mesure de son temps !). N’hésitez pas non plus à inviter tel ou tel membre du secrétariat national à venir parler de son travail avec vous, à organiser pour lui une conférence : leurs interventions sont toujours très appréciées. Mais nous allons surtout remettre en route la fonction de « référent régional » : chaque région aura un membre du comité directeur comme référent. Il assurera le lien permanent et concret entre cette région et le national. Attention, ce n’est pas une fonction à sens unique : tout autant que de vous tenir informés des initiatives nationales, il aura à faire remonter vers le comité directeur vos idées, vos critiques, vos initiatives et vos questions.

Troisièmement, les campagnes. La nécessité est apparue clairement à l’occasion de la campagne sur les violences policières que vous soyez mieux informés par des documents mis à temps à votre disposition sur le contenu des campagnes et leur raison d’être. Mais il est surtout nécessaire que les campagnes soient toujours conçues comme un ensemble où s’articulent de façon organique nos actions sur le terrain, et le travail de plaidoyer au plan national ou international. De telle façon que chacun comprenne l’ensemble de l’action qui est menée et puisse s’y joindre en fonction de ses possibilités concrètes, de sa sensibilité personnelle et de ses forces. Il faut aussi accepter que les formes de militantisme puissent être diverses selon les générations : à côté des actions menées sur le terrain, il y a tout un ensemble d’autres actions à mener sur les réseaux sociaux, à partir de notre site Web, avec des générations plus jeunes.

  1. Quant à la vitalité actuelle de notre association, tout un travail a été fait depuis plus d’un an maintenant pour nous aider à nous adresser à des jeunes, grâce à Claude Granier, Thomas Lafont, Estelle Rose et bien d’autres. Cela va se poursuivre, notamment à Taizé, où les interventions déjà réalisées montrent l’intérêt que des jeunes de tous pays peuvent porter à l’ACAT.

Mais même si des jeunes ont rejoint des groupes ou des régions, ce dont il faut beaucoup se réjouir, cela reste relativement rare.

Il faudra donc, d’une part, penser et proposer d’autres formes spécifiques d’action à des jeunes qui ne rejoindront pas nos groupes existants, comme l’a fait par exemple avec succès le CCFD.

Et, d’autre part, il nous faut, tout autant, chercher à revitaliser beaucoup de nos groupes, nos EAR, nos commissions, en y attirant de nouveaux membres, pas forcément jeunes : il y a aujourd’hui de très nombreux « jeunes seniors » qui, arrivant à la retraite, souhaitent profiter de leur temps libre pour s’engager dans une action militante. Vous en connaissez comme moi, tel cet ami qui me disait l’autre jour : « Dans un an je serai à la retraite – pourquoi pas un engagement à l’ACAT ? » Ce sera donc un axe prioritaire pour le pôle « vie militante », au cours de l’année, de chercher à apporter du sang neuf de ce côté aux différents groupes et instances de l’ACAT, à tous les niveaux. Que les régions qui connaissent des difficultés de recrutement actuellement n’hésitent donc pas à réfléchir à la manière d’attirer de nouveaux membres, et n’hésitent pas non plus à prendre contact avec le pôle « vie militante » pour voir de quelle façon ils pourraient se faire aider dans ce but. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour notre avenir.

Un autre point auquel il nous faudra réfléchir est celui du fonctionnement de la présidence de l’ACAT. Depuis quinze ans qu’il est en poste, notre délégué général a travaillé avec pas moins de sept présidents. Cette situation est dommageable et crée un déséquilibre. Un mandat de deux ans est une durée trop courte pour pouvoir exercer correctement la responsabilité de président, car il faut déjà une bonne année pour commencer seulement à prendre la mesure des enjeux. Or l’obstacle principal à une présidence d’une durée « normale » (par exemple, un mandat de trois ans, renouvelable une fois, comme dans la plupart des associations du type de la nôtre) vient de nos statuts qui stipulent que le président est choisi parmi les membres du comité directeur, dont le mandat est de trois ans, renouvelable une fois. Mais il est très difficile de trouver un président dès le début de son premier mandat au comité directeur. Nous allons donc réfléchir pour savoir si une modification des statuts ne serait pas nécessaire à cet égard, qui permettrait par exemple de dissocier le mandat au comité directeur et le mandat de président. Rassurons-nous : il ne s’agit aucunement d’avoir un président qui s’éternise dans sa fonction. Néanmoins, « le » président de l’ACAT dont tout le monde se souvient (certains croient même qu’il l’est toujours !) n’est-il pas Guy Aurenche, de fait un excellent président, dont le mandat a duré huit ans comme nos statuts le permettaient à l’époque ? Il est donc important pour l’équilibre de l’ACAT d’avoir un président qui ait le temps de mener une action durable.

Enfin, quant à notre vitalité, je tiens à souligner la qualité actuelle de nos relations avec la FIACAT. Ces relations se sont normalisées depuis juin dernier avec des deux côtés une volonté claire de collaboration et une confiance mutuelle. L’un des facteurs de cette amélioration tient aux liens qui se sont renforcés au sein des ACAT européennes. Cela s’est traduit par deux réunions fructueuses au niveau européen, en juin 2015 et février 2016, qui ont permis une connaissance mutuelle et des actions décidées et menées en commun, au moins quatre fois par an (Vendredi saint, Nuit des veilleurs, journée contre la peine de mort le 10 octobre, action pour le 10 décembre).

Affirmer notre identité chrétienne œcuménique

La région Centre a émis un vœu à ce propos, qui sera discuté au cours de cette AG. Je tiens à remercier cette région, car de fait c’est une question essentielle, aujourd’hui plus encore qu’hier, pour nous tous, pour le comité directeur, pour moi en tant que président comme pour mes prédécesseurs.

  1. Mobiliser nos Églises

Depuis la création de l’ACAT, cela a été l’un de nos buts, en tant qu’association chrétienne. Cela reste tout à fait d’actualité car, même si des progrès ont été faits quant à la prise en compte des droits de l’homme par nos Églises, nous constatons pourtant de nouveaux raidissements, en même temps que s’ouvrent de nouveaux champs d’action.

Nouveaux champs d’action, avec l’arrivée en France de chrétiens appartenant à des Églises orientales qui ont une tout autre façon de se situer par rapport à la société et au domaine politique. Cela va donc demander de notre part un effort pour les connaître, et pour voir dans quelle mesure ils pourraient se joindre à nous : ce sera là une tâche en premier lieu pour ceux d’entre nous qui sont de confession orthodoxe. Il en va de même en direction des Églises évangéliques qui se multiplient à l’heure actuelle. Là aussi un vœu a été émis par la région Alsace-Moselle. Le groupe « Sensibiliser les Églises » y a travaillé, et le comité directeur y travaillera en juin, de façon à vous proposer des pistes.

Pour les Églises présentes depuis longtemps en France, nous restons encore loin du compte, avec même de nouveaux raidissements. Tant qu’il s’agit d’apporter de l’aide à des victimes, il y a beaucoup de disponibilité et de générosité. Mais dès qu’il s’agit de s’attaquer aux causes profondes des souffrances de ces victimes pour chercher à les faire disparaître, c’est une tout autre affaire.

D’autant plus que de profondes tensions traversent nos Églises comme notre société. Face aux évolutions actuelles, nous ne sommes pas épargnés par la tentation d’une alliance entre le pouvoir politique et les autorités religieuses (nous l’avons souligné lors du colloque de Marseille consacré au thème « religion et torture ») pour « défendre notre identité menacée ».

C’est pourquoi je suis persuadé que nous, en tant qu’ACAT, nous avons aujourd’hui plus qu’hier un rôle à jouer, et d’abord une place à tenir au sein de nos Églises : être, là aussi, un pôle de résistance prophétique en faveur de ce qui fait partie intégrante de la mission de l’Église – « nous faire le prochain » de ceux qui souffrent de violence, œuvrer à la « libération des captifs » en nous attaquant jusqu’aux causes de ces captivités et de ces souffrances. Il nous faut approfondir nos convictions dans ce domaine en les étayant solidement de façon à garder cette force de résistance. Nous aurons donc à développer des formations appropriées dans ce domaine de notre identité chrétienne.

  1. Dans le combat que nous menons

Cette identité chrétienne œcuménique doit aussi marquer notre propre façon d’agir.  

D’un côté, il est évident que nous avons à mener notre combat au coude à coude avec tous ceux, chrétiens ou non, croyants ou non, qui se battent pour la dignité humaine, et nous sommes heureux de ce partage fructueux avec eux tous. C’est ainsi que nous œuvrons au sein de nombreux collectifs où notre présence est appréciée, et notre compétence reconnue. J’ai pu moi-même en faire l’expérience très positive durant vingt ans au sein des ONG internationales accréditées au Conseil de l’Europe.

En même temps, à l’heure où, pour l’opinion publique, il est fréquent d’associer religion et violence, notre association apporte le témoignage, de par son existence même, que la religion est et doit être au contraire une ressource contre la violence. Cela a été justement l’objet du colloque de Marseille qui a été une très belle réussite, comme tous ceux qui y ont participé en ont témoigné. Un grand merci pour ce succès à la commission théologie et à l’équipe locale qui l’ont porté plusieurs mois durant. Les résultats nous en sont présentés dans le numéro de mars-avril du Courrier.

Il faut aussi nous demander si nous n’avons pas, en tant qu’ONG chrétienne, une note propre à apporter dans ce combat mené avec beaucoup d’autres. Nous sommes porteurs d’une source d’inspiration qui nous est propre. Ne devrait-elle pas se refléter dans notre façon d’agir, dans nos campagnes, dans notre façon de nous adresser aux responsables politiques – et, si oui, comment ? Dans la société laïque qui est la nôtre, que nous apprécions, la vision de l’homme qui nous vient de notre foi peut être proposée au service de tous, en dialogue avec tous. Cette question du rôle des croyants dans une société laïque de plein droit comme la nôtre demande travail et réflexion, et a d’ailleurs donné lieu depuis quelques années à diverses études et publications, dont nous pourrions faire davantage notre profit.

Pour conclure, je crois que nous pouvons trouver une inspiration sur ce que nous avons à faire et à être aujourd’hui en tant que membres de l’ACAT dans ces paroles du psaume 85 :

Amour et Vérité se rencontrent,

Justice et Paix s’embrassent.

Vérité de terre germera,

Et Justice, des cieux, se penchera.

Il n’est pas de paix authentique sans justice. Il n’est pas de justice réelle si elle n’aboutit pas à la réconciliation et à la paix. Et, tout autant, il n’est pas d’amour, pas de vivre-ensemble, sans vérité qui respecte les uns et les autres. Mais il n’est pas de vérité humaine et sociale si elle ne cherche pas la fraternité et l’amour. C’est ce souci de fraternité, me semble-t-il, qui doit être le ressort essentiel et le but de toute notre action, la clef de notre façon d’être.

Télécharger le Rapport moral du président

 

[1]. Commission nationale consultative des droits de l’homme, dont l’ACAT d’ailleurs est membre.