République Dém. du CongoFrance
Événement

Rencontre entre le Prix Nobel de la Paix et les acatiens

Le docteur Mugwege, Pris Nobel de la paix, était présent à Caen les 4 et 5 juin derniers. La mobilisation d'un collectif d’associations, dont l'ACAT Basse-Normandie, a permis l'organisation d'un événement majeur : une conférence à l'Université de Caen rassemblant 1000 personnes.
Le 05 / 07 / 2019

Prix Nobel de la Paix 2018, le Docteur Denis Mukwege, mondialement connu comme l’homme qui répare les femmes, lutte depuis vingt ans contre les viols de guerre individuels ou collectifs, et les mutilations génitales qui en résultent, perpétrés contre des dizaines de milliers de femmes dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC).

A écouter également sur le sujet : l'émission de l'ACATsur Radio Frequence Protestante 

En plus de son intense activité médicale, le Docteur Mukwege combat pour que ces viols commis un peu partout dans le monde soient reconnus comme des armes de destruction massive :
« Nous pouvons les soigner médicalement avec nos limites, mais concernant la justice, les victimes nous implorent de plaider auprès de la communauté internationale pour qu’elle prenne à bras-le-corps cette question de l’impunité. »

La mobilisation d'un collectif d’associations, dont l'ACAT Basse-Normandie, a permis l'organisation d'un événement majeur lors de la venue du  docteur dans la région : une conférence à l'Université de Caen rassemblant 1000 personnes, toutes générations et toutes origines confondues dont de très nombreux jeunes. Elle a aussi permis à Anna Demontis, chargée de projet éditorial à l'ACAT, d'interroger pour le collectif le docteur sur la question de l'impunité qui perdure en RDC, interview que vous pouvez retrouver dans le  magazine Humains.

Dans la conférence comme dans l'interview ci-dessous, le docteur Mukwege nous appelle à l'aider dans son combat.

 

INTERVIEW

Qu’est-ce que le rapport Mapping ?

Ce rapport a été diligenté par le Haut-Commissariat des droits de l’homme aux Nations unies (HCDH), réalisé par des experts de l’ONU et publié en 2010. Il détaille les exactions commises en République démocratique du Congo (RDC) entre mars 1993 et juin 2003, les noms des victimes et des auteurs, les lieux où ces violations ont eu lieu, etc. Il reconnait qu’il y a eu des crimes de masse en RDC, qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et même potentiellement de crimes de génocide, ce qui est très grave. On ne peut pas être indifférent à ce type de qualification, mais cela fait maintenant 10 ans que ce rapport reste dans les tiroirs de l’ONU.

Quelles étaient les recommandations phares ?

L’une des recommandations envisageait de créer un tribunal pénal international pour la RDC car entre 1993 et 2003, il y avait sept armées en RDC [dont celles de l’Angola, du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda, ndlr] et des groupes armés étrangers. En plus des bourreaux congolais, il y avait donc aussi des bourreaux étrangers. Malheureusement, ce tribunal pénal international pour le RDC n’a pas été créé, mais l’ancien président de la République, Joseph Kabila, a promis d’instaurer des chambres mixtes spécialisées qui réuniraient des magistrats congolais et des magistrats étrangers, dans un souci d’indépendance. Là encore, ces chambres mixtes n’ont pas vu le jour, alors qu’il y a un véritable besoin de justice en RDC.

Pourquoi est-ce important de se mobiliser pour que ce rapport soit pris en compte ?

Les crimes dont on parle ont commencé en 1993, mais ils se poursuivent encore aujourd’hui. Si vous lisez le rapport Mapping, vous verrez qu’il y a des personnes qui ont commis des crimes graves et qui ont quand même gravi les échelons par la suite, que ce soit dans l’administration, dans l’armée, dans la police, etc. Aujourd’hui, ce sont eux qui dirigent en partie la RDC et ils commettent encore des crimes, ce qui entretient un cycle de violence qui ne fait que se perpétuer. Nous pensons que la seule façon de casser ce cercle vicieux, c’est de faire intervenir la justice. Depuis 20 ans, il y a une répétition des crimes qui sont à chaque fois commis par les mêmes auteurs et les mêmes instigateurs. De plus, la justice permet de préserver le contrat social au sein d’une société. Une société où il n’y a pas de justice, où l’impunité règne, c’est une société où personne ne sait ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, et donc c’est une société chaotique. Enfin, la justice permet de garantir les valeurs morales d’une société. Aujourd’hui, en RDC, ces valeurs ont été remplacées par une mauvaise gouvernance marquée par la corruption.

Félix Tshisekedi a été élu président de la République en janvier 2019. Cette alternance représente-t-elle une opportunité ?

Il faut quand même préciser que si le président a changé, le système reste le même. Félix Tshisekedi n’a la main ni sur l’Assemblée nationale, ni sur le Sénat, ni sur les gouverneurs de provinces et les assemblées provinciales, ni même sur l’armée, la police ou l’intelligentsia. En réalité, sa marge de manœuvre est très limitée par le fait que l’ancien président, Joseph Kabila, s’est arrangé pour conserver une partie considérable du pouvoir [voir « Quel changement politique en RDC ? », Humains n°11 / mai-juin 2019, ndlr]. Il est vrai que Félix Tshisekedi dispose de prérogatives qui peuvent lui permettre de changer les choses, il faut qu’il soit courageux, qu’il croit en ses actions et en sa capacité à agir.

Pensez-vous qu’il peut y avoir un sursaut de la communauté internationale qui, aujourd’hui, ne se mobilise pas pour que le rapport Mapping soit pris en compte ?

C’est effectivement le sentiment que j’ai, mais cela ne décourage pas l’activiste des droits humains que je suis. En RDC, on a sacrifié la justice sur l’autel de la paix et finalement, nous n’avons ni l’un ni l’autre. C’est pourquoi la communauté internationale doit comprendre qu’on ne peut pas construire la paix sans justice. J’appelle à une mobilisation de tous celles et ceux qui sont engagés dans la lutte contre l’impunité afin que, pour les dix ans du rapport Mapping en 2020, les Nations unies suivent ses recommandations. La mobilisation doit avoir lieu en RDC, mais aussi en France et ailleurs. Il faut rappeler au monde qu’on ne peut pas continuer à dépenser de l’argent pour faire la paix tout en oubliant ce qui a de plus important : la justice.

Comment les Français peuvent-ils agir pour vous soutenir ?   

Beaucoup de gens ne connaissent pas le rapport Mapping, c’est pourquoi il faut en parler et sensibiliser. Je crois que les autorités congolaises sont en train de jouer sur la mémoire en espérant que l’on finisse par l’oublier. Mais les victimes des violences n’oublient pas et à chaque fois que je parle avec ces femmes victimes de violences, cela me rappelle à quel point la justice doit être rendue. Il faut donc demander à vos lecteurs de nous donner leurs voix, de sensibiliser, de constituer des petits groupes dans les communes, les écoles, les universités pour parler de cette question. Ensuite, il y a les réseaux sociaux, qui permettraient de créer un groupe de pression, par exemple au niveau français, pour demander aux autorités françaises de s’impliquer et d’exiger du Conseil de sécurité des Nations unies qu’il suive les recommandations du rapport Mapping. Aujourd’hui encore, des femmes, des enfants et même des bébés sont quotidiennement violés en RDC tout ça pour un minerai, le coltan, que nous considérons comme un minerai de sang. Je pense que la mobilisation des Français pourrait amener leurs autorités à agir.

 

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