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Rached Jaidane : une voix contre l’impunité

Arrêté, incarcéré et torturé en 1993 en Tunisie, Rached Jaïdane a porté plainte après la chute de la dictature de Ben Ali. En dépit des multiples obstacles rencontrés depuis le début de la procédure, son combat porte ses fruits.
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Est-ce que vous pouvez raconter votre histoire ?

Rached Jaïdane : Je suis un ancien détenu politique tunisien et professeur de mathématiques. J’ai été incarcéré le 29 juillet 1993, torturé, puis condamné à 26 ans de prison après avoir signé, sous la torture et sans les lire, des aveux affirmant que j’avais fomenté un attentat contre le parti de Zine el-Abidine Ben Ali. J’ai été incarcéré pendant 13 ans, avant d’être libéré en 2006. Aujourd’hui, je lutte contre l’impunité de ces crimes et pour faire la lumière sur le système tortionnaire qui existait pendant la dictature en Tunisie.

Quelles sont les étapes de ce parcours judiciaire ?

R.J. : En 2007, j’ai demandé justice pour la première fois, mais nous étions encore sous la dictature. En 2011, à la suite de la révolution et après la chute de Ben Ali, j’ai porté plainte contre mes tortionnaires. Malheureusement, à cette époque en Tunisie, nous n’avions aucune loi instaurant une justice transitionnelle et permettant de juger les crimes de la dictature. Les faits ont été déclarés prescrits et mes tortionnaires ont été acquittés, excepté Ben Ali qui a été condamné à 5 ans de prison. En 2017, saisi par l’ACAT et TRIAL International, le Comité contre la torture de l’ONU a condamné la Tunisie pour les sévices qui m’avaient été infligés et pour avoir laissé ces faits impunis. Le dossier a également été soutenu par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Aujourd’hui, il est entre les mains des chambres spécialisées qui sont chargées de faire la lumière sur les exactions des droits humains commises sous la dictature de Ben Ali. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Après que mes tortionnaires ne se sont pas rendus à la troisième audience, le juge a pris des dispositions leur interdisant de voyager à l’étranger. Cette pression a porté ses fruits : lors de la quatrième audience, qui s’est déroulée devant les tribunaux de première instance de Tunis, le 14 mars 2019, j’ai enfin pu voir comparaître mes tortionnaires. J’espère désormais qu’ils vont rendre des comptes, mais le chemin risque d’être encore long. Je m’attends à ce qu’il y ait encore 3 à 5 ans de procédure.

Votre cas est emblématique des enjeux de la Justice transitionnelle en Tunisie. En quoi votre combat individuel contre l’impunité sert l’intérêt général ?

R.J. : J’ai promis à des amis qui ne sont plus là aujourd’hui, à mon frère et à toute la justice tunisienne que j’irai jusqu’au bout de mon combat. Ce n’est pas juste le combat de Rached, c’est le combat de toute une nation et un devoir de citoyen. Nous subissons encore des pressions, qui viennent notamment des syndicats de police et qui démontrent que le système de l’impunité est toujours en place, qu’il n’y a aucune volonté de juger réellement les crimes de torture commis pendant la dictature. Beaucoup de personnes considèrent que le processus de Justice transitionnelle doit s’arrêter pour pouvoir construire l’avenir du pays. Mais on ne peut pas construire l’avenir de la Tunisie sans lutter contre l’impunité. Et pour combattre l’impunité, nous devons connaître la vérité pour pouvoir bâtir des institutions démocratiques fortes et faire respecter les droits humains.

Propos recueillis par Anna Demontis, chargée de projet éditorial

  Article issu du n°11 d'Humains

  • Justice et impunité
  • Torture