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Protection des défenseurs des droits humains : les incohérences de la France

Dans cette tribune initialement publiée le 29 octobre sur Le Monde.fr, 32 organisations dont l’ACAT soulignent que dans la pratique, l’universalité des droits et leur défense ne résistent que trop rarement aux intérêts économiques ou stratégiques de la France. Elles interpellent également le Président Emmanuel Macron sur la nécessité d’établir un plan d’action national sur la protection des défenseurs des droits humains.
Emmanuel Macron_Arno Mikkor (EU2017EE)

Texte initialement publié sur LeMonde.fr  avec le titre « Défendre les droits humains est devenu en France une activité qui peut présenter des risques » [article réservé aux abonnés].


 

En octobre 2017, Emmanuel Macron affirmait devant le Conseil de l’Europe : « […] Le respect des droits de l’homme est battu en brèche. Ils sont considérés comme un affaiblissement par celles et ceux qui cherchent à les combattre ou les réduire alors qu’ils sont une force, une spécificité, alors qu’ils sont universels. Ils sont présentés comme une option alors qu’ils sont une obligation. » Le président français aurait pu ajouter que les droits humains étant partout attaqués, celles et ceux qui les défendent sont pris pour cible.

En adoptant la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme en décembre 1998, les gouvernements se sont engagés à les soutenir et à veiller à ce qu’ils soient en mesure d’agir sans entraves et sans crainte de représailles. Deux décennies plus tard, les défenseurs des droits humains se trouvent confrontés à un niveau de persécution et de répression inédit, tandis que l’offensive contre les droits est de plus en plus assumée par de nombreux dirigeants.

Une doctrine claire

Les défenseurs des droits humains sont des personnes qui, seules ou collectivement, s’engagent pacifiquement pour protéger et défendre les droits de tous. C’est Loujain Al-Hathloul, qui, par son activisme, a permis des avancées importantes pour les droits des femmes en Arabie saoudite, et qui est emprisonnée depuis plus de dix-huit mois.

Echouant à mettre en œuvre une réelle stratégie de protection des défenseurs, cohérente et durable, dans sa politique extérieure, la France d’Emmanuel Macron est également loin d’être exemplaire à l’intérieur de ses frontières

C’est Edward Snowden, ancien employé de la NSA, qui a révélé au monde l’étendue de la surveillance de masse, et qui est obligé de vivre en exil. Ce sont les activistes de Greenpeace France qui se sont introduits dans la centrale de Cattenom pour dénoncer le risque nucléaire, et dont le procès s’ouvre le 30 octobre à Metz.

Ce sont également les communautés autochtones qui promeuvent un autre modèle social et environnemental face à la rapacité et l’irresponsabilité des entreprises extractives. Ce sont ces millions de Hongkongais qui bravent pacifiquement les interdictions de manifester pour préserver leurs droits démocratiques. Ce sont ces milliers de citoyens en Europe qui apportent une aide essentielle aux personnes réfugiées et migrantes lorsque les Etats ont tourné le dos à leurs obligations et à leur humanité.

Il y a un an jour pour jour, à l’occasion du Sommet mondial des défenseurs à Paris, Emmanuel Macron recevait à l’Elysée une délégation de défenseurs des droits humains venue lancer un appel aux Etats afin qu’ils respectent enfin leurs engagements. Dans les mois suivants, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères français annonçait officiellement que la protection des défenseurs serait une priorité de sa nouvelle stratégie internationale en matière de droits humains. Les engagements sont donc pris et la doctrine semble claire : il faut protéger le droit de défendre les droits. Dans la pratique pourtant, l’universalité des droits et leur défense ne résistent que trop rarement aux intérêts économiques ou stratégiques de la France.

Nous appelons la France à la cohérence

Ainsi, en octobre 2019, Emmanuel Macron dénonçait à nouveau devant le Conseil de l’Europe la répression judiciaire contre les défenseurs des droits en Turquie ou encore la répression de manifestations en Russie, quelques jours seulement après avoir refusé de s’associer à une déclaration sur la situation des droits humains en Arabie saoudite, présentée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et pourtant portée par vingt-quatre pays, dont quinze européens.

Echouant à mettre en œuvre une réelle stratégie de protection des défenseurs, cohérente et durable, dans sa politique extérieure, la France d’Emmanuel Macron est également loin d’être exemplaire à l’intérieur de ses frontières. Des bénévoles associatifs défendant les droits des personnes réfugiées et migrantes, des observateurs des pratiques policières lors des manifestations, des journalistes indépendants, des militants écologistes sont aujourd’hui soumis à de fréquentes intimidations policières et à des poursuites judiciaires. Défendre les droits en France est devenu, en quelques années seulement, une activité qui peut présenter des risques.

La parole de la France perd de sa crédibilité quand, dans sa diplomatie comme sur le territoire national, la défense des droits varie selon les intérêts économiques, stratégiques ou encore les enjeux sécuritaires. C’est pourquoi nous appelons la France à la cohérence dans ses actes et l’ambition dans sa stratégie, afin de ne pas participer elle aussi à l’affaiblissement des droits et à la mise en danger de celles et ceux qui les défendent.
Nous demandons à M. Macron que cessent les silences complices, le « deux poids, deux mesures » et l’érosion des libertés en France.

Nous demandons au gouvernement français de répondre à l’appel lancé il y a un an lors du Sommet mondial des défenseurs à Paris. A l’instar des autres Etats, la France doit s’engager à élaborer, en lien avec la société civile, une stratégie claire et un plan d’action national visant à garantir un environnement sûr et favorable pour celles et ceux qui défendent nos droits à tous. A mi-mandat, il n’est pas trop tard pour que le discours d’octobre 2017, que nous espérions fondateur d’un engagement véritable, se traduise désormais en actes concrets.

 

Signataires :

  • Action des chrétiens pour l'abolition de la torture France (ACAT) – Bernadette Forhan, Présidente
  • ActionAid France-Peuples Solidaires – Luc de Ronne, Président
  • ADRA France antenne de Dunkerque – Claudette Hannebicque, Présidente
  • Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme (AEDH) – Philippe Morié, Président
  • Amis de la Terre France – Khaled Gaiji, Président
  • Amnesty International France – Cécile Coudriou, Présidente
  • Association E.C.NOU – Cécile Branquart-Boutin et Marc Hanotin, Co-Présidents
  • Attac France – Aurélie Trouvé, Porte-parole
  • CCFD-Terre Solidaire – Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente
  • Centre de recherche et d'information pour le développement (CRID) – Emmanuel Poilane, Président
  • Comité local du Secours Populaire français de Vendi-Oblinghem – Maryse Toursel, Présidente
  • Confédération générale du travail (CGT) – Philippe Martinez, Secrétaire général
  • Emmaüs International – Nathalie Péré-Marzano, Déléguée générale
  • Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) – Alice Mogwe, Présidente
  • Fédération syndicale unitaire (FSU) – Bernadette Groison, Secrétaire générale
  • Flandre Terre Solidaire – Patrick Freyss, Président
  • France Libertés - Fondation Danielle Mitterrand – Jérémie Chomette, Directeur général
  • Greenpeace France – Jean-François Julliard, Directeur général
  • Help Refugees – Josie Naughton, Directrice générale
  • Human Rights Watch – Bénédicte Jeannerod, Directrice France
  • La Cimade - Cyrille de Billy, Sécrétaire général
  • Ligue des Droits de l’Homme (LDH) – Malik Salemkour, Président
  • Médecins du Monde – Philippe de Botton, Président
  • PBI France – Manon Cabaup, Présidente
  • Refugee Youth Service – Jonny Willys, Directeur général
  • Secours Catholique Caritas France – Vincent Destival, Délégué général
  • Union nationale des étudiants de France (UNEF) – Mélanie Luce, Présidente
  • Union syndicale Solidaires – Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégués généraux
  • Utopia 56 – Gaël Manzi, Président