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Lutte contre l’impunité : la France protège-t-elle les criminels de guerre ?

La France, pourtant en première ligne dans la lutte contre l’impunité sur la scène internationale, traîne des pieds au niveau national, refusant un recours en justice aux victimes de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre.
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Le 17 juillet 1998, lors de la création de la Cour pénale internationale, avec 120 pays, la France rappelait le « devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». Conscients que ce nouveau tribunal ne pourrait pas juger tous les responsables des crimes de masse, les tribunaux nationaux devaient être complémentaires de cette cour internationale pour pouvoir les juger même s’ils étaient commis à l’étranger, même si l’auteur ou la victime étaient étrangers. Il s’agit du mécanisme de compétence universelle ou extraterritoriale. L’affaire du dictateur chilien, Augusto Pinochet, en a été une illustration emblématique, en 1998, lorsqu’il a été arrêté à Londres à la demande d’un juge espagnol.

Pourtant, seize ans plus tard, un nouveau Pinochet ne pourrait pas être traduit devant les tribunaux français. En effet, en 2010, des verrous ont été inscrits dans la loi dans l’unique but d’empêcher toute poursuite judiciaire de criminels de guerre. Les sombres amitiés de la France l’aurait donc rendue réticente à juger les crimes les plus graves de l’humanité ?

Des engagements présidentiels restés lettre morte

En 2012, le candidat François Hollande écrivait à l’ACAT: « Le texte de loi voté par la France en 2010 ne permet pas aux victimes des crimes internationaux les plus graves d’obtenir justice dans notre pays. Je n’accepte pas le mécanisme juridique existant qui défend (protège) des bourreaux en France [...] Je veux, bien entendu, revenir sur ces restrictions. Je n’accepterai pas que la France soit terre d’impunité pour des criminels de guerre ou des auteurs de génocide ». Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme lui ont demandé ces deux dernières années de mettre en œuvre cet engagement. Silence radio du côté de l’Élysée.

Du côté du Sénat, en février 2013, une loi, initiée par le sénateur Jean-Pierre Sueur, a pourtant permis de lever tous les verrous existants, sauf un : le monopole du parquet. Pierre angulaire du système, le procureur, entièrement soumis au pouvoir politique, reste le seul titulaire du droit de déclencher des poursuites judiciaires.

L’omnipotence du procureur au détriment des victimes

Des victimes de délits ou de crimes ordinaires peuvent porter plainte en se constituant partie civile directement devant le juge d’instruction et ainsi enclencher une enquête judiciaire. A contrario, les victimes de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre se voient privées de ce droit et doivent faire face à l’éventuelle inertie ou au refus du procureur. Un dispositif qui arrange bien le pouvoir politique qui peut ainsi contrôler les affaires qu’ils jugent sensibles.

Dans plusieurs affaires de crimes internationaux, le parquet est intervenu sur instruction du ministère de la Justice pour entraver la procédure pénale et refermer des dossiers qui embarrassaient les relations diplomatiques de la France. Il s’est caché derrière des immunités diplomatiques non fondées pour permettre à de hauts responsables d’échapper à la justice et s’enfuir du territoire français. Le parquet a requis des non-lieux durant des instructions ou demandé l’acquittement. Il a même fait appel de la condamnation d’un tortionnaire tunisien « à la demande de la Chancellerie », comme l’avait précisé à l’époque la secrétaire générale du parquet, dans une affaire jugée en 2010. Quand la politique prime sur l’intérêt de la justice et des victimes.

Modifier la loi sur la compétence universelle : un impératif pour les victimes de crimes internationaux.

On ne peut que se réjouir de la création récente d’un pôle spécialisé de magistrats et de procureurs qui enquête et poursuit une trentaine d’affaires liées à des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ainsi que de la création d’une unité spécialisée de gendarmes et de policiers. Ces moyens doivent cependant avoir pour corollaire un dispositif juridique adapté qui devrait garantir un recours effectif pour les victimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre

Et c’est bien là que le bât blesse : le texte adopté par le Sénat il y a 18 mois attend toujours d’être examiné par l’Assemblée nationale. L’impunité prime en attendant. Les députés ont la possibilité de supprimer définitivement tous les verrous, en particulier celui du monopole du parquet. Il est donc urgent de l’inscrire à l’ordre du jour, afin de mettre fin à cette atteinte grave au droit des victimes à un recours effectif. Une quête de justice que les victimes de crimes internationaux attendent toujours.

François Picart, président de l’ACAT

Ce texte a été publié à l'origine dans l'édition du lundi 11 juillet 2014 de la Croix.

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