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Un monde tortionnaire

Algérie


Fiche publiée en 2011

Il est très difficile d’obtenir des témoignages de victimes de torture en Algérie. Elles sont peu enclines à dénoncer les sévices ou mauvais traitements qu’elles ont subis, par manque de confiance en la justice et surtout par peur d’être à nouveau torturées ou condamnées à une lourde peine en cas de poursuite judiciaire. Selon les informations rapportées par les organisations de défense des droits de l’homme travaillant sur le pays, la torture y serait encore couramment employée, principalement à l’encontre des personnes suspectées de terrorisme.

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Contexte

L’année 2011 a commencé avec une série d’émeutes déclenchées par la jeunesse algérienne, déjà confrontée à un chômage de masse, contre la hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité annoncée par le gouvernement. Lancée dans la capitale, Alger, la contestation s’est répandue dans plusieurs autres villes du pays et a entraîné une répression particulièrement violente de la part des forces de l’ordre, qui a fait cinq morts et plus de 800 blessés. Créée dans la foulée de ces manifestations par des intellectuels, des membres de partis politiques d’opposition, de syndicats et d’organisations de défense des droits de l’homme, une Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) revendique depuis lors la liberté d’expression et le départ du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 1999. Les marches de protestation organisées par ce mouvement d’opposition en février, mars, avril et mai 2011 se sont encore soldées par des violences policières et aussi des vagues d’arrestations. Face aux critiques exprimées sur la scène internationale, à l’exaspération de la population et à la menace que faisait peser le Printemps arabe sur tous les dirigeants de la région, le chef de l’État a décidé, le 23 février 2011, de lever l’état d’urgence instauré dix-neuf ans plus tôt pour lutter contre le terrorisme dans le contexte de guerre civile et a promis à ses quelque 39 millions de compatriotes, des réformes politiques pour favoriser la démocratisation du pays. Au moment de l’écriture de ce rapport, le bilan de ce geste d’ouverture est plutôt mitigé : les libertés de rassemblement et de réunion sont toujours bafouées et l’appareil répressif continue à sévir.

Pratiques de la torture

Il est très difficile d’obtenir des témoignages de victimes de torture. Elles sont peu enclines à dénoncer les sévices ou mauvais traitements qu’elles ont subis, par manque de confiance en la justice et surtout par peur d’être à nouveau torturées ou condamnées à une lourde peine en cas de poursuite judiciaire. Selon les informations rapportées par les organisations de défense des droits de l’homme travaillant sur l’Algérie, la torture y serait encore couramment employée.

Victimes

Les cas de torture documentés par des ONG algériennes et internationales montrent que le phénomène tortionnaire touche principalement les personnes suspectées de terrorisme.

Le 16 octobre 2010, Othmane Abdessamed Abdellahoum, 32 ans, a été enlevé devant son domicile à Aïn al-Hadjel par des agents du service de renseignements militaires, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS). C’est seulement après vingt-six jours de disparition forcée que les membres de sa famille ont été informés de sa détention et autorisés à lui rendre visite dans la prison de Bouira. Othmane Abdessamed Abdellahoum leur a expliqué qu’il avait été détenu au secret et torturé dans le centre de détention « Antar », situé à Alger. Selon ses proches, il présentait des traces de torture.

Certains ressortissants algériens installés à l’étranger et suspectés d’activités terroristes, éventuellement déjà acquittés ou condamnés là-bas, ont été renvoyés de force en Algérie, en dépit des risques de torture qu’ils encouraient. Il s’agit notamment de plusieurs détenus de Guantánamo ou encore de Mustapha Labsi, expulsé illégalement de Slovaquie le 19 avril 2010 et condamné par contumace en Algérie à la prison à perpétuité pour terrorisme. Dès leur arrivée sur le territoire algérien, les personnes suspectées d’activités terroristes ont été arrêtées et détenues au secret dans les locaux du DRS, puis poursuivies ou relâchées. Bien que nous ne disposions pas d’informations précises attestant que ces hommes aient été systématiquement soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant leur détention, Amnesty International a recueilli le témoignage de deux Algériens renvoyés du Royaume-Uni en 2007 et affirmant avoir été maltraités par des agents du DRS.

Selon la fondation Alkarama for Human Rights, certaines personnes accusées de terrorisme ont vraisemblablement été interpellées en raison de leurs contacts avec des défenseurs des droits de l’homme algériens ou étrangers. Comme l’a regretté le Comité contre la torture des Nations unies (Committee Against Torture-CAT), l’article 87 bis du Code pénal algérien propose une définition « peu spécifique » de l’acte terroriste, qui permet de condamner pour ce crime des agissements ne relevant pas nécessairement du terrorisme et qui peut par conséquent donner lieu à ce genre de dérives.

Dans une moindre mesure, les personnes soupçonnées d’infraction de droit commun sont aussi exposées à la torture, en particulier les trafiquants de drogue présumés, à cause du lien souvent établi par les autorités entre trafic de drogue et terrorisme. Le 13 août 2010, huit policiers en civil à la recherche de stupéfiants ont perquisitionné sans mandat le domicile de la famille Djelaili dans la ville d’El-Bayadh et procédé à l’arrestation d’un de ses membres, Belaid Ouadi Djelaili. Ils l’ont ensuite emmené au poste de police, menotté à une rampe d’escalier et roué de coups, lui causant des blessures sévères sur le visage.

Tortionnaires et lieux de torture

Les principaux auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements sont les agents du DRS, autrefois appelé « Sécurité miliaire », et placé directement sous la dépendance du chef de l’État, puisqu’il est également ministre de la Défense nationale. Créé en 1990, le DRS est tristement célèbre pour les exactions massives perpétrées pendant la guerre civile et représente actuellement le seul service habilité à instruire les affaires de terrorisme. Ses agents, officiellement pourvus des prérogatives de la police judiciaire, échappent en pratique au contrôle du procureur de la République. De même, les centres de détention non reconnus dans lesquels ils se livrent aux interrogatoires et aux violences ne sont pas inspectés par ce dernier. Situés parfois dans des villas privées, ces lieux de torture se trouvent surtout dans des casernes militaires, notamment dans les six Centres territoriaux de recherche et d’investigation (CTRI) correspondant aux six régions militaires du pays. Ces CTRI sont administrés par la Direction du contre-espionnage (DCE), une division du DRS.

En dehors de ces sites, la torture est pratiquée dans un autre centre de détention secret dirigé par la DCE et localisé dans la périphérie d’Alger, le Centre principal des opérations, plus connu sous le nom de centre « Antar ».

Les 25 et 26 octobre 2009, des agents du DRS ont arrêté Larbi Ansal, cordonnier âgé de 31 ans, et Noureddine Bouilouta, commerçant de 28 ans, dans la wilaya (province) de Jijel. Accusés de soutenir des groupes terroristes, ils ont été détenus au secret et torturés durant cinq jours dans une villa proche d’une caserne de Jijel, puis transférés au CTRI de Constantine. Les deux détenus ont à nouveau été torturés et contraints de signer des aveux avant leur présentation devant le procureur, le 9 novembre.

Les gendarmes et les policiers de la Direction générale de la sécurité nationale (DGSN) recourent aussi parfois à la torture dans leurs locaux respectifs. Nordine Nadri, arrêté à la suite d’une altercation avec un automobiliste, le 2 juin 2010, est décédé lors de sa garde à vue le même jour. Selon sa famille, il portait des traces de « graves sévices » sur le corps.

Enfin, plusieurs témoignages font état d’actes de torture et de mauvais traitements commis par le personnel pénitentiaire, principalement dans la prison d’El Harrach. En avril 2010, quatre prisonniers soupçonnés d’atteintes à la sécurité y ont fait une grève de la faim pour se plaindre des mauvais traitements infligés par les gardiens (coups, humiliations et insultes). Deux ans plus tôt, environ 30 détenus avaient été torturés pour avoir refusé de retourner dans leur cellule, en signe de protestation contre la réaffectation de leur salle de prière. Les membres du personnel pénitentiaire les avaient notamment déshabillés, frappés à coups de pied, de poing et de bâton et menacés d’agression sexuelle.

Méthodes et objectifs

La plupart des actes de torture commis par les agents du DRS se produisent pendant la garde à vue. Limitée a priori à quarante-huit heures par le Code de procédure pénale, elle peut être prolongée de quarante-huit heures sur autorisation du procureur de la République et durer douze jours en cas d’affaires liées au terrorisme. Elle peut s’étendre encore plus longtemps dans les faits. Les suspects de terrorisme, soustraits au contrôle de toute autorité judiciaire, sont entièrement livrés à l’arbitraire de leurs interrogateurs. Ces détentions prolongées au secret, constitutives d’une disparition forcée, s’assimilent à de la torture psychologique et s’ajoutent à la torture physique.

Les tortionnaires veulent punir leurs victimes et surtout leur arracher des informations sur d’éventuels complices ainsi que des aveux qui seront consignés dans le procès-verbal d’enquête préliminaire et utilisés par le juge.

Selon Alkarama for Human Rights, les méthodes de torture sont à peu près les mêmes que celles utilisées dans les années quatre-vingt-dix, à savoir la technique du chiffon, qui consiste à immobiliser la victime et à lui introduire un chiffon dans la bouche pour la forcer à avaler de l’eau sale, de l’urine ou des produits chimiques ; le passage à tabac ; la flagellation (surtout sur la plante des pieds et les organes génitaux) ; la suspension prolongée par les bras ; les chocs électriques ; la privation de sommeil et de nourriture et enfin les violences sexuelles, dont des viols, et les menaces de viols à l’égard des détenus mais aussi de leurs parentes. L’ACAT-France a documenté le cas d’un jeune Algérien, M. S., soupçonné d’un crime de droit commun et arrêté par la police en 2008. Enfermé pendant plusieurs jours dans un cachot, il a été battu, soumis au supplice du chiffon et sodomisé avec une bouteille.

En mai 2008, le Comité contre la torture des Nations unies a dénoncé un autre mode de traitement inhumain et dégradant légalisé par les autorités algériennes avec l’ordonnance n° 06-01 de mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée en 2005. Ce texte oblige les familles des personnes disparues au cours de la guerre civile à attester la mort de leur proche pour bénéficier d’une indemnisation et, ce faisant, à renoncer à réclamer la vérité sur son sort. Selon le Comité, cette contrainte « pourrait constituer une forme de traitement inhumain et dégradant pour ces personnes, en les exposant à un phénomène de survictimisation ».

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Aux niveaux international et régional, l’Algérie a ratifié des traités qui interdisent le recours à la torture : Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a aussi ratifié la Convention contre la torture, sans avoir encore signé le Protocole facultatif se rapportant au texte, et reconnu la compétence du Comité contre la torture pour connaître des plaintes individuelles.

L’article 132 de la Constitution prévoit que ces textes ont primauté sur la loi interne.

En droit interne, le Code pénal algérien criminalise la torture. L’article 263 bis en propose la définition suivante : « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne, quel qu’en soit le mobile ». Selon l’article 263 ter, « toute personne qui exerce, provoque ou ordonne l’exercice d’un acte de torture sur une autre personne » encourt cinq à dix ans de réclusion et une amende comprise entre 100 000 et 500 000 dinars algériens (entre 970 et 4 850 euros). L’article 263 quater prévoit une peine d’emprisonnement de dix à vingt ans et une amende pouvant aller jusqu’à 800 000 dinars (soit 7 760 euros), quel que soit le motif du recours à la torture, si l’auteur de l’acte incriminé est un fonctionnaire. Enfin, tout fonctionnaire qui accepte ou passe sous silence un acte de torture risque une peine de cinq à dix ans de réclusion et une amende de 100 000 à 500 000 dinars.

La législation algérienne contient cependant plusieurs dispositions contraires à l’interdiction absolue de la torture, en particulier l’ordonnance n° 06-01 susmentionnée, qui organise l’impunité des membres des groupes armés et des agents de l’État pour les exactions perpétrées pendant la « Décennie noire ». Telle que présentée par l’article 45 de ce texte, l’impunité des agents de l’État ne connaît aucune restriction. Elle est d’ailleurs renforcée par l’article 46, encore jamais appliqué, mais qui pourrait justifier la poursuite de quiconque tenterait d’attaquer en justice les forces armées nationales pour des exactions perpétrées pendant la guerre. L’exonération des poursuites est en revanche plus difficile à obtenir pour les membres des groupes armés. Ces derniers doivent se rendre aux autorités et, en pratique, sont obligés par ces dernières à collaborer. Par ailleurs, ils ne doivent pas avoir commis de massacre, d’attentat à la bombe ni de viol. En revanche, la perpétration d’un crime de torture ou de disparition forcée n’empêche pas l’exonération des poursuites. Pour les actes de torture perpétrés après l’adoption de l’ordonnance n° 06-01, les articles 277 et 283 du Code pénal prévoient certaines circonstances atténuantes qui peuvent alléger considérablement les peines réprimant le meurtre, les blessures et les coups et donc, implicitement, la torture.

Enfin, aucun texte n’interdit expressément l’utilisation des aveux obtenus sous la torture comme élément de preuve par les juges.

Poursuite des auteurs de torture

Le 18 juillet 2001, le juge d’instruction de Sidi Bel Abbés a ordonné le placement en détention préventive de six policiers accusés de coups et blessures volontaires, à la suite du décès de Bachir Mohamed, Ce dernier avait participé, le 3 juillet, à une manifestation pour exiger l’attribution de logements sociaux, réprimée par la police. Bachir Mohamed a été roué de coups par des agents, puis emmené au commissariat. Il s’est plaint de douleurs abdominales, mais a dû attendre plusieurs heures avant d’être transféré à l’hôpital où il est décédé le 11 juillet. Le chirurgien qui l’a opéré, a affirmé que la rate et l’appendice de son patient étaient réduits en bouillie et que son foie avait été endommagé par les coups.

Hormis ce cas, les poursuites à l’encontre d’agents de l’État se rendant coupables d’actes de torture sont rares et ne concernent jamais les membres du DRS. L’impunité prédomine encore largement en Algérie, aussi bien pour les crimes commis au cours de ces dernières années que pour ceux perpétrés pendant les années quatre-vingt- dix. C’est ainsi que Mohammed Médiene, chef du DRS et responsable à ce titre de la principale institution tortionnaire du pays, occupe toujours le même poste depuis 1990.

Ce climat d’impunité résulte des obstacles légaux cités plus haut, de la peur des victimes devant la perspective de témoigner et enfin de l’iniquité de l’institution judiciaire, qui ferme sciemment les yeux sur les crimes exécutés par les agents de l’État. Même lorsque les traces de sévices sont visibles, le juge d’instruction n’ordonne pas d’enquête et les juges de première instance ignorent les allégations de torture et prennent en compte les éventuels aveux consignés dans le procès-verbal d’enquête de la police judiciaire. Dans les rares affaires où le gardé à vue bénéficie d’un examen médical, le médecin refuse généralement de constater les séquelles de torture.

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